07.06.2021

CINÉMA_Un divan à Tunis (ou le mot libéré)

Le premier long métrage de Manele Labidi nous raconte l'histoire d'une jeune psychanalyste formée à Paris, qui décide de retourner en Tunisie, son pays d'origine, juste après la révolution sociale et politique du « Printemps arabe ». Ses oncles lui offrent un appartement sur le toit d'un immeuble du quartier d'Ezzahra. Là, elle commence à voir des patients. De Paris, elle ramène une photographie de Freud avec un fez et l'accroche au mur de son nouveau bureau, peut-être pour lui rappeler comment pratiquer dans un pays sortant d'un régime totalitaire.

Selma porte la marque de deux mondes et, qu'elle s'en rende compte ou non, s'érige en agente interculturelle. Elle ne manque pas de travail, les patients se rendent à sa consultation pour trouver un endroit où loger leurs doutes, exprimer leurs insatisfactions et résoudre des récits en suspens. Une société qui pousse à se transformer et qui voit comme sa vie antérieure commence à vaciller, les rapprochant même sans trop le savoir de la solitude et de l'individualisme de la post-modernité.

Selma est un élément inconfortable pour le nouveau système: comment peut-elle réguler la pratique d'un psychanalyste dans un pays qui vient de s'éveiller à la démocratie? Le gouvernement ne lui facilite pas la tâche, elle doit obtenir des permis, mais ce n'est pas très clair ce qu'elle doit faire pour les obtenir. Selma insiste sur son envie d'être analyste et elle ne recule pas devant un policier - avec qui elle joue un jeu d'attraction - ou un fonctionnaire pour continuer son travail.

On voit comment une coiffeuse, un imam, une boulangère et sa nièce fréquentent son bureau pour discuter et, dans cette causerie, se transforment comme le fait la société dans son ensemble. La liberté d'expression est corrélative à la liberté d'expression de chacun et la consultation de Selma devient un lieu d'échange sur les effets de ce changement politico-social sur chacun d'eux. La lutte est de savoir comment Selma peut faire de son bureau un lieu pour acquérir la connaissance de sa vérité et non un lieu de pèlerinage où exhorter à une culpabilité indicible.

C'est de cela dont parle le film, dépassant les idéaux politiques, sociaux et féministes que l'on pourrait faire dans une première interprétation du film. Un pari difficile car faire une critique des événements quotidiens d'un cabinet de thérapeutes n'est pas chose aisée. Le film se veut une comédie légère qui invite à la réflexion, s'éloignant du drame si caractéristique des films arabes de ces derniers temps. L'optimisme de Manele Libidi et la façon dont elle fait de la psychanalyse une pratique possible sont appréciés. Même avec toutes ces bonnes intentions, le film devient si léger que certains personnages sont une caricature d'un portrait, perdant la possibilité pour le spectateur de se plonger dans la complexité humaine des personnages.

Helena Valldeperes

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